Extraits

Tous ces textes sont publiés en intégralité dans la monographie « Fragments d’Arcadie »

Loin, très loin, à des années-lumière du tapage et des fracas, Serge Saunière explore l’infini, l’immatériel, l’ineffable. Du grand vide lumineux aux ténèbres profondes, tout est silence, tout est distance. Voyageur solitaire, il s’empare du moment qui passe, l’arrête un instant et, dans un souffle, nous en restitue la quintessence.

Proche de l’ascèse, maître du noir et blanc, il entrouvre la porte de l’Extrême-Orient, celle de l’intemporel, de l’indicible. Son œuvre, tout empreinte de spiritualité, magistralement maîtrisée, vient compléter celle de ses prestigieux prédécesseurs de la deuxième partie du XXe siècle : Degottex, Marfaing, Soulages.

Michèle Destarac


L’encre ouvre ainsi à une sorte de splendeur innocente, superbement moderne, même si elle prend racine sur une tradition iconographique des plus anciennes. Elle offre au regard une autre vision, tant elle possède en elle une essence subtile propre à être pesée, évaluée, éprouvée et goûtée.

Jean-Paul Gavard-Perret
Extrait À la surface des jours


Depuis quelque temps, d’abord souterrainement, marginalement, silencieusement, s’opère en Occident une réorientation dans la conception des choses, dans la manière de faire, dans la pensée et dans l’art. En termes très généraux, on peut parler d’un mouvement qui va du temps à l’espace, de l’obsession de l’Histoire à la simple sensation « d’être là », dans un environnement d’abord, ensuite, plus loin, dans un monde (autre) en gestation.

Dans cette réorientation, la connaissance d’une pensée dont la somme lointaine est orientale a joué un rôle considérable.

C’est éminemment le cas de l’œuvre artistique de Serge Saunière (…)

Si, depuis des années, Serge Saunière marche d’un pas tranquille et ferme sur une ligne de crête, avec, sur un versant, l’Orient et sur l’autre, l’Occident, il a aussi, dans le dos, si je puis dire, toute une ancienne Occitanie, cette région profonde de la France qu’Henri Lefèbvre, dans Production de l’espace, appelle « périphérale et universelle ». Je dirais aussi, pour ma part, lieu de « l’amour lointain » (amor lontana) et de « la trouvaille obscure » (trobar clos). « Je me suis fait un lointain », dit Joseph Joubert, le philosophe de Montignac.

L’art de Saunière est un art des lointains.

Kenneth White
Extrait L’art lointain de Serge Saunière


Ce n’est pas non plus le temps de la méditation, abstrait et moral; c’est celui de la présence (le neutre) et de l’observation (l’étrange). Sur les îlots de l’archipel, en peinture, en lavis, en lithographies, le temps de la liberté multiple, celui que Segalen appelait le Divers, foisonne dans sa lenteur heureuse où passe parfois un geste vif et puissant dont la toile, ici, la feuille, là, offrent la trace, comme le témoignage d’un voyage suspendu entre deux mondes et souverain parmi le désordre originel.

Yves Bergeret
Extrait Archipel 1997


L’originalité de cette peinture est, plus encore que dans son caractère éminemment sensible et complexe, dans la présence de ces contradictions de formes et de mondes incompatibles, qui vivent néanmoins fort bien côte à côte sur la toile. Ils sont incompatibles et pourtant heureux. Et heureux parce qu’ensemble.

Cet état (heureux ensemble) est sans doute l’intuition la plus audacieuse de Serge Saunière ; car elle parvient à manifester, avant même la naissance des diverses formes et au-delà de celle-ci, ce qui est en quelque sorte leur matrice archétypale : une dramaturgie puissante et sourde (bourdonnante) faisant du tableau un lieu hors du temps et de l’espace concrets, mais situant vigoureusement notre lieu et notre temps par rapport à la robustesse réelle d’un autre espace-temps.

Yves Bergeret
Extrait Sous un grand vent 1998


Toute peinture un peu achevée m’a toujours donné l’impression de générer du silence. Les œuvres qui apparaissent les plus abouties, mais aussi les plus vivantes et les plus mouvantes dans leur fixité physique, me semblent produire cette sorte de contraste avec un silence qui est celui de leurs moyens matériels, leur immobilité dans le monde des formes et leur vie dans celui de l’esprit. (…)

On y ressent tel ou tel jeu de forces, de formes en contraste, de passages ou de matières qui parlent sans cesse d’un devenir qui est celui de notre raison d’être au monde : l’esthétique, l’imagination, la mémoire, c’est-à-dire un sens profond et impérieux difficilement explicable par le vocabulaire commun — ces propositions, essentiellement plastiques, n’étant jamais lues dans un sens univoque. Ce qui est grand renvoie au microcosme ; ce qui est petit suggère l’immensité ; ce qui est fluide est tout à la fois organique, liquide ou aérien ; ce qui est matériel, végétal, minéral, proche ou lointain, est à la fois imaginaire et chargé d’un certain sentiment de déjà vécu (…).

Daniel Lacomme
Une gestuelle du silence 2005


Ce qui compte », écrit Maurice Blanchot dans l’Espace littéraire, « ce n’est pas l’artiste, ni les états d’âme de l’artiste, ni la proche apparence de l’homme, ni le travail, ni toutes les valeurs sur lesquelles s’ouvraient jadis l’au-delà du monde, c’est une recherche cependant précise, rigoureuse, qui veut s’accomplir dans une œuvre qui SOIT et rien de plus. »

Telle est la peinture de Serge Saunière. Décapée de tout, radicalement concrète. L’émotion qu’elle suscite vient des profondeurs du monde. Son temps est celui des origines. L’éprouver c’est fouler les territoires premiers du « sans sens de la nature » (Tristan Tzara). C’est faire le « pas d’après » (Kostas Axelos). Celui qui coïncide avec une certaine de(a)nsité de l’Être comme force de vie.

Daniel Viguier