D’encre et de silence

Pascal Hemery

Un certain nombre des artistes que nous présentons ici se nourrissent d’une relation particulière et nécessaire au temps. Tous les éléments que l’on retrouve dans l’estampe nous viennent d’Extrême-Orient et ont mis plusieurs siècles pour atteindre l’Europe et la France. Et l’art de ces contrées orientales se différencie de notre culture en ce qu’il ne démontre pas mais qu’il suggère, les vides ne sont pas des manques mais des jalons permettant aux pleins de vibrer, de telle sorte que le spectateur puisse prolonger la proposition faite par l’artiste et l’œuvre être ainsi perpétuellement renouvelée suivant la personne qui la regarde.
Et Serge Saunière est bien évidemment l’incarnation de cet esprit, de ce souffle créateur. Il rentre aux beaux-arts de Paris afin de se perfectionner dans tous les domaines artistiques, le dessin, la peinture, la gravure et la lithographie. En 1977, il publie chez Pousse Caillou son premier album de lithographies intitulé Treize manières de voir un merle sur un poème de Wallace Stevens. Depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui, son œuvre est dominée par l’utilisation de l’encre. L’encre sur pierre dans le cas des lithographies, mais également l’encre sur papier et dans le cadre de travaux de grande dimension, l’encre/acrylique sur toile. Très tôt c’est imposée cette manière très orientale de procéder, faite de méditation et de travail de l’instant. D’ailleurs, sitôt diplômé des beaux-arts, il obtient une bourse d’étude qui l’emmène au Japon où il souhaite développer la technique de la peinture à l’encre. Il y restera neuf années durant lesquelles il ne pratiquera peu ou pas la peinture à l’encre, par contre il étudiera les techniques de la peinture traditionnelle japonaise, puis approfondira les techniques de fabrication des supports traditionnels en peinture et en gravure, spécialement les papiers et les soies. Reconnu comme un des spécialistes dans ce domaine, il contribuera en 1991, à l’élaboration du Dictionnaire de la civilisation japonaise chez Hazan. C’est fort de cette singulière expérience qu’il rentre en France en 1989 et reprend le cours de sa propre création, après 9 années d’imprégnation de la culture nipponne. Serge se replonge dans le travail de l’encre comme s’il ne l’avait jamais quittée et renoue avec la lithographie. En 1993, il réalise toujours chez Pousse caillou cette magnifique suite de lithographies en couleur intitulée Onze vues des Pyrénées sur un poème de Kenneth White. Avec une sobriété déconcertante il nous livre l’essence du souffle de la nature dans ce qu’elle a de plus pur et de plus sauvage. Ce qui caractérise le travail de Serge, c’est ce télescopage entre les forces tectoniques et ce souffle du jour naissant qui porte déjà les germes de la vie. L’homme n’est pas loin, qui regarde un monde en train de se créer, entre le noir et le blanc, entre le dur et le tendre, entre la certitude et le doute. En regardant les estampes de Serge Saunière, laissons nos pleins et nos vides s’accorder au silence de l’instant présent.